EXTRAIT

Ile de Sant’Antioco, Sardaigne, printemps 2021

Après huit jours sans faiblir, le mistral rugissant et glacé a enfin cessé de souffler sur l’île. En début d’après-midi le téléphone sonne :

– Tu viens monter ?

– J’arrive !

Bien sûr que je viens monter !... Pantalon d’équitation, boots et chaps enfilés rapidement, me voici au volant, direction San Giovanni Suergiu.

Au manège, Asia est déjà sellée. Mon cœur bat la chamade. Je caresse sa chaude encolure, dénoue quelques crins emmêlés dans sa longue crinière noire, admire son allure, sa finesse de jument arabo-sarde. Les dessins des crins de sa robe grise pommelée et l’odeur enivrante de cheval et de cuir mêlés me sont familiers.

En selle, après quelques tours de manège au pas, le temps de resserrer la sangle et d'ajuster les étriers – c’est la reprise pour les cavaliers et les chevaux après ces longues semaines d’inactivité – tu m’interpelles :

– Usciamo ? On sort ?

– Siiii !...

Je sors avec le maestro, privilège et complicité. Nous quittons le manège et après l’allée d’eucalyptus, chevauchons côte à côte. Les amandiers en fleurs, les vignes, les montagnettes à l’horizon se marient avec le ciel bleu tendre au rythme régulier des sabots foulant le sol.

– Un po di trotto ? Un peu de trot ?

– Certo !

L’aisance revient naturellement, j’en profite pour rectifier ma position et peaufiner mon style pendant que le paysage défile. Tu es devant, les épaules larges, solides. Tu montes à la sarde, les rênes dans une seule main, un jeune cheval noir encore en dressage. Nous trottons bon train. Tu tournes la tête vers l’arrière, me jette un regard du coin de l’œil :

– Come va ?

– Va bene. Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement… tu peux y aller, je suis !

– Galoppo ?

– Siiii !!...

Enfin ce galop, attendu comme une délivrance. Sans appréhension, je retrouve l’accord immédiat avec la jument. Asia étire son encolure, s’allonge, souple et élastique. Les mains en contact léger sur les rênes, la jambe fixe, descendue, je me mets en suspension. La jument galope, rapide, légère sur le chemin. La campagne est en fleurs. La liberté, le cœur qui bat plus fort, le mélange d’excitation et de maîtrise, le rythme saccadé des sabots frappant le sol, l’odeur du cheval, mes doigts sur sa crinière. Je vole, m’enthousiasme, pousse des petits cris de joie que je ne refrène pas, c’est l’ivresse, le bonheur absolu… Après ces semaines d’enfermement, je touche du doigt le paradis !

– C’est comme faire l’amour ! je te crie.

Devant, je sais que tu ressens la même chose, passion du cheval partagée, et même sans le voir je devine ton sourire ! Sandro : Homme de cheval et dresseur hors pair, mon ami sarde. Tout un poème !...

De retour à Sant'Antioco, à la maison, à l’abri de l’air du temps (plutôt irrespirable en ce moment, si l'on en croit les infos), je reprends ma lecture. Mots jetés sur le papier, à l’autre bout du monde il y a quelques décennies, par la jeune femme que je fus. Strates d’un ailleurs qui m’a sculptée, modelée, nourrie. Cet ailleurs, qui toujours m’attire comme un aimant.



Christine Barbier, Bons baisers de Sant'Antioco et d'ailleurs, éd. Livres du Monde, 2023.

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